La conscienceLa Légende des siècles – Victor Hugo

La conscience

Ce texte, La conscience, est extrait de La Légende des siècles – Première série, du volume Poésie II de la collection BOUQUINS des Œuvres complètes de Victor Hugo, à la page 576. J’ai commencé par le copier/coller sur le site Poésie française avant de relire et corriger en référence à la version précitée, version la plus récente de La Conscience que je connaisse.

Mon projet

Je l’ai déjà écrit dans ce blog, j’ai l’intention de mettre en place un site autour de la poésie de Victor Hugo (qui se nommera Entendre Victor Hugo). L’internaute y lira et écoutera la poésie du plus grand poète français. Il l’entendra, dans tous les sens du terme. Sur internet, beaucoup de poèmes d’auteurs connus sont remplis d’erreurs, quand ils ne sont pas carrément « réadaptés ». Dans la mesure du possible, je cite mes sources et je les citerai toujours pour ce qui concerne Hugo. Elles permettent au lecteur attentif de vérifier si une coquille ne s’est pas glissée par inadvertance dans le texte du jour (car je suis faillible, comme chacun, et l’avantage de l’internet 2.0 est l’échange.)

La conscience – L’enregistrement

Je vous convie à écouter La conscience, poème de la Légende des siècles – Première série, de Victor Hugo.
Vous remarquerez que « la conscience » n’est à aucun moment citée dans ce poème, sinon dans le titre. « La conscience », faculté qu’a l’homme de connaître sa propre réalité et de la juger est ici imagée… mais je ne vous apprends rien, vous qui venez ici.
Il vous suffit maintenant de cliquer ci-dessous (sur la petite flèche en forme de triangle) pour l’écouter et, je l’espère, entendre cette Conscience.

La conscience

La conscience – Le texte

La conscience

Lorsque avec ses enfants vêtus de peaux de bêtes,
Échevelé, livide au milieu des tempêtes,
Caïn se fut enfui de devant Jéhovah,
Comme le soir tombait, l’homme sombre arriva
Au bas d’une montagne en une grande plaine ;
Sa femme fatiguée et ses fils hors d’haleine
Lui dirent : « Couchons-nous sur la terre, et dormons. »
Caïn, ne dormant pas, songeait au pied des monts.
Ayant levé la tête, au fond des cieux funèbres,
Il vit un œil, tout grand ouvert dans les ténèbres,
Et qui le regardait dans l’ombre fixement.
« Je suis trop près », dit-il avec un tremblement.
Il réveilla ses fils dormant, sa femme lasse,
Et se remit à fuir sinistre dans l’espace.
Il marcha trente jours, il marcha trente nuits.
Il allait, muet, pâle et frémissant aux bruits,
Furtif, sans regarder derrière lui, sans trêve,
Sans repos, sans sommeil ; il atteignit la grève
Des mers dans le pays qui fut depuis Assur.
« Arrêtons-nous, dit-il, car cet asile est sûr.
Restons-y. Nous avons du monde atteint les bornes. »
Et, comme il s’asseyait, il vit dans les cieux mornes
L’œil à la même place au fond de l’horizon.
Alors il tressaillit en proie au noir frisson.
« Cachez-moi ! » cria-t-il ; et, le doigt sur la bouche,
Tous ses fils regardaient trembler l’aïeul farouche.
Caïn dit à Jabel, père de ceux qui vont
Sous des tentes de poil dans le désert profond :
« Étends de ce côté la toile de la tente. »
Et l’on développa la muraille flottante ;
Et, quand on l’eut fixée avec des poids de plomb,
« Vous ne voyez plus rien ? » dit Tsilla, l’enfant blond,
La fille de ses fils, douce comme l’aurore ;
Et Caïn répondit : « Je vois cet œil encore ! »
Jubal, père de ceux qui passent dans les bourgs
Soufflant dans des clairons et frappant des tambours,
Cria : « Je saurai bien construire une barrière. »
Il fit un mur de bronze et mit Caïn derrière.
Et Caïn dit « Cet œil me regarde toujours ! »
Hénoch dit : « Il faut faire une enceinte de tours
Si terrible, que rien ne puisse approcher d’elle.
Bâtissons une ville avec sa citadelle,
Bâtissons une ville, et nous la fermerons. »
Alors Tubalcaïn, père des forgerons,
Construisit une ville énorme et surhumaine.
Pendant qu’il travaillait, ses frères, dans la plaine,
Chassaient les fils d’Enos et les enfants de Seth ;
Et l’on crevait les yeux à quiconque passait ;
Et, le soir, on lançait des flèches aux étoiles.
Le granit remplaça la tente aux murs de toiles,
On lia chaque bloc avec des nœuds de fer,
Et la ville semblait une ville d’enfer ;
L’ombre des tours faisait la nuit dans les campagnes ;
Ils donnèrent aux murs l’épaisseur des montagnes ;
Sur la porte on grava : « Défense à Dieu d’entrer. »
Quand ils eurent fini de clore et de murer,
On mit l’aïeul au centre en une tour de pierre ;
Et lui restait lugubre et hagard. « Ô mon père !
L’œil a-t-il disparu ? » dit en tremblant Tsilla.
Et Caïn répondit : « Non, il est toujours là. »
Alors il dit: « Je veux habiter sous la terre
Comme dans son sépulcre un homme solitaire ;
Rien ne me verra plus, je ne verrai plus rien. »
On fit donc une fosse, et Caïn dit : « C’est bien ! »
Puis il descendit seul sous cette voûte sombre.
Quand il se fut assis sur sa chaise dans l’ombre
Et qu’on eut sur son front fermé le souterrain,
L’œil était dans la tombe et regardait Caïn.

Autres lectures

Principe

Si vous désirez que j’enregistre un texte appartenant au répertoire, n’hésitez pas à me le demander. Dans la mesure du possible, et de ma sensibilité, je le ferai. Il n’y a aucune obligation mais, comme j’aime la poésie et la dire, ce sera avec plaisir.

Pour écouter

Pour écouter les autres auteurs enregistrés, je vous conseille d’aller sur la page des liens intitulée Enregistrements – Index ou de cliquer sur le lien juste avant ces mots.

Lecture de La Légende des siècles

Mercredi 14 mai, à 17h, au Théâtre du Nord-Ouest, 13 rue du Faubourg Montmartre, je lirai des extraits de la Légende des siècles.
Le coût de l’entrée est de 6 €.

Pierre-François

Pierre-François Kettler est le croisement sanguin et vraisemblablement contaminé de l'heroïc fantasy, de Victor Hugo, du Code noir, du théâtre, de Robert Desnos, du jeu et de la poésie. L’enfance et l’adolescence, à Chambéry, lui ont fait découvrir un corps qu'il détestait copieusement et un imaginaire où il se réfugiait voluptueusement. Son "service national" au Rwanda l'a ouvert sur le monde. Le théâtre l'a fait vivre et l'a réconcilié avec son corps dans cet espace si complexe. Depuis 2005, il harmonise sa chair et ses rêves en les écrivant.

5 commentaires :

  1. J’ai pris beaucoup de plaisir à entendre de la poésie, c’est la première fois. Jusqu’à aujourd’hui, je ne faisais que lire la poésie.
    PS. J’aimerais entendre: Puissance égale Bonté
    Merci pour tous ces efforts et Bravo

    Meryem

  2. Je me permets de vous dire qu’à mon avis, la définition du mot « conscience » que vous donnez n’est pas la bonne. Il en est de ce mot comme du mot « vol », qui a deux sens entièrement distincts : le vol de l’oiseau et celui du voleur. Le poème de Hugo n’est pas un poème sur la « Faculté qu’a l’homme de connaître sa propre réalité et de la juger; cette connaissance. » (conscience psychologique) [Grand Robert électron. 2013] mais sur la conscience morale (Connaissance intuitive par l’être humain de ce qui est bien et mal, et qui le pousse à porter des jugements de valeur morale sur ses propres actes) [même source]. Caïn a commis un crime et est poursuivi par sa mauvaise conscience. Ce thème est repris dans le magnifique « Parricide » de la Légende des siècles, où Canut, ayant tué son « père Swéno, vieillard presque en démence », sort de la tombe après sa mort pour aller trouver Dieu, marche vêtu d’un manteau de neige sur lequel pleuvent des gouttes de sang, pour finalement rester dans la nuit sans oser paraître « devant le juge au front duquel le soleil luit », condamné à « rôde[r] éternellement sous l’énorme ciel noir ».

  3. Erratum : …[Grand Robert électron. 2013], mais sur la conscience morale …

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